Don't let me be misunderstood || Vox

Je parlais parfois de mon boulot à Alice ou à Elias. De toute manière, c’était bien la seule chose sur laquelle je pouvais tenir une discussion, ma vie se résumant à peu près à ça. Mais je n’entrais pas toujours dans les détails, ce n’était de toute façon pas nécessaire. Même si Alice insistait toujours pour que je lui en raconte le plus possible, j’étais pour aller direct dans le sujet. Mais apparemment, cela la fascinait d’écouter mes histoires. Comme des bons romans policiers, me répondait-elle. Ce à quoi je rétorquai que je n’étais pas un putain de romancier, mais elle disait s’en ficher. Cependant, eux, c’était différent. C’était littéralement grâce à Elias que j’avais décroché ce job pour la PH, qui avait lancé l’agence. Et Alice m’avait toujours soutenu. On pouvait dire que c’était les rares personnes à qui je faisais assez confiance pour parler de ce que je faisais.

Et maintenant, il y avait une sirène en plus. Encore quelqu’un de la Potential Home. En même temps, si je voulais les éviter, je devais peut-être commencer à ne plus travailler pour eux. Ce qui n’était clairement pas dans mes projets. Owen m’inspirait assez confiance pour lui en dire un peu plus, même si au final, cela ne faisait que quelques heures que nous nous connaissions. Le fameux instinct. Et une attirance mutuelle, finement entretenue par mon hôte. Son sifflement admiratif me surprit un peu, tout comme sa remarque sur le fait que je participais à sa sécurité. Dans le fond, il avait raison, mais je n’avais jamais envisagé la chose sous cet angle. A quoi bon ? Et je me retins de lui dire que c’était aussi de ma faute s’il leur arrivait quelque chose que je n’avais pas pu prévoir, préférant hausser simplement les épaules.

"Je suis pas bénévole, hein. Je suis payé pour ce travail, et très correctement. Pas besoin de faire quoi que ce soit pour me remercier…"

Quelle drôle d’idée, quand même. Mais c’était une manière de penser, sans doute. Très éloignée de la mienne, et des considérations techniques de mon travail. Et si cela le rendait heureux ou le rassurait, eh bien… tant mieux ? C’était en tous cas le premier employé de l’école qui me remerciait directement de cette manière, autre que les directeurs et les gens avec qui je traitais. Elias aussi, mais Elias était du genre à remercier le soleil de se lever chaque matin, c’était différent. Alors, quelque part, je me surpris à plutôt apprécier l’attention, puisque rien ne l’obligeait à la faire. Et parce que je n’en avais jamais voulu en retour. C’était mon boulot, et c’était tout.

Boulot qui m’avait encore bien retenu aujourd’hui, comme tous les autres jours. Et comme souvent, j’en avais oublié de manger. Ce n’était pas que ne le voulais pas, ou que je voulais énerver Alice ou mon médecin, mais ça me sortait de la tête. Et même en y pensant, je n’avais pas souvent envie d’avaler quoi que ce soit, ce qui n’aidait pas. Surtout lorsqu’on s’enfilait plusieurs bières et deux bourbons. Pas l’idée du siècle, non. Mais l’ambiance détendue m’avait fait complètement oublié ce à quoi je ne prêtais de toute façon pas grande attention en générale. Je fus donc forcé de m’allonger sur le canapé pour éviter que ma tête ne tourne trop, face au regard interrogatif de la sirène. Il sembla pourtant accepter mon explication, et je me demandais si cela devait lui arriver également. Au moins, il ne s’inquiétait pas trop, car il n’y avait vraiment pas de quoi.

Et ce n’était sûrement pas ça qui allait m’empêcher de l’observer sous mon nouveau point de vue plutôt avantageux. Et pour lui aussi, visiblement. La musique comblait l’espace qui nous séparait pendant que nous nous dévisagions les yeux dans les yeux. Un moment suspendu hors du temps, avec la voix de Nina Simone pour nous accompagner. J’avais connu pire. Je ne le quittais pas dur regard lorsqu’il s’approcha lentement, pour finalement me murmurer quelques mots à l’oreille. Je fronçais légèrement les sourcils quand il parla de revenir, mais le contact de sa main sur ma peau coupa court à toute protestation. Je soutins son regard encore quelques instants, avant de le laisser partir et de soupirer.

Je n’avais pas besoin de me remettre, j’allais très bien. C’était juste un vertige passager comme j’en avais eu d’autres, et il était déjà en train de partir. Il n’avait pas à faire quoi que ce soit, surtout si cela interrompait encore ce genre de moments. Mais s’il y tenait, je n’allais pas non plus protester. Je fermais les yeux pour inspirer une nouvelle fois, sentant la caresse de sa main toujours bien présente sur ma peau. Par-dessus la voix de la chanteuse, je l’entendais s’affairer dans la cuisine, et lorsqu’il revint enfin, je rouvris les yeux et me relevai pour m’asseoir sur le canapé. Il avait apporté plusieurs choses à manger, beaucoup trop. Je n’étais pas non plus au bord de l’hypoglycémie. Cependant, dire quelque chose aurait été plus que malpoli, et l’attention était touchante malgré tout.

"Merci, et encore désolé. Je ne compte pas faire un arrêt cardiaque non plus, ça va aller." lui assurai-je, en commençant néanmoins à picorer un peu dans la nourriture. Comment souvent dans ces cas, l’appétit venait en mangeant, et puisqu’il avait sorti tout cela pour moi, je n’allais pas faire mon borné.

La suite de ses paroles me tira cependant un regard interrogateur, et encore plus lorsque je le vis s’avancer vers son piano. Il allait jouer, maintenant ? Et ses voisins ne diraient rien ? Lorsqu’il commença les premières notes de la chanson, je ne pus m’empêcher de rire. Sérieusement ? Après tout, pourquoi pas. Je fus de toute manière rapidement pris par la mélodie et par la voix d’Owen. Sa voix de sirène. Même le choix extravagant du morceau lui correspondait bien. Alors, je me laissais une nouvelle fois entraîné par la musique, en profitant de temps à autre pour manger un peu, avec de plus en plus d’appétit. A la différence de sa performance du bar, je gardais les yeux ouverts, fixés sur le musicien et le moindre de ses mouvements. Et au fur et à mesure, je me sentis effectivement mieux. Peut-être que ce n’était que dans ma tête, mais peut-être pas. La musique était bénéfique, disait-on. Et combinée au don d’Owen, tout était possible.

A la fin de sa performance, je me levais pour l’applaudir, tout en m’approchant du piano. Les vertiges étaient définitivement loin, et je me sentais même mieux qu’au début de la soirée. Je le fixais avec un sourire en coin, et laissais quelques secondes de silence avant de dire :

"Tu vraiment très direct, comme gars." C’était dit comme un constat. Peut-être même comme un compliment. En tous cas, ça ne déplaisait pas. Pas du tout. Mon regard témoignait que je n’avais pas été insensible à sa prestation, et je ne le cachais nullement. Je me penchais en avant pour arrêter mon visage à quelques centimètres du sien. Lentement, ma main alla passer de la base de son cou à sa mâchoire, puis à son menton que je relevais légèrement pour qu’il me fasse face. "Est-ce que ça veut dire qu’on arrête enfin de jouer à se faire désirer, Monsieur le grand tacticien ?"

Je restais cependant sans bouger, attendant sa réponse. Me prendre un vent une fois avait suffi, et je ne comptais pas réitérer. A lui d’assumer ses techniques. Mais je n’attendais qu’une chose : qu’il réduise enfin cette satanée distance entre nous. A force, cela risquait quand même de devenir ridicule, non ?

Alice se plaignait souvent que ma vie sociale était quasiment inexistante. Et travailler à mon compte n’aidait pas, contrairement au temps où je bossais encore chez Pinkerton. C’était vrai que j’y avais croisé des personnes avec qui je gardais toujours un –maigre- contact. Mais j’avais surtout pu ne plus jamais croiser un sacré nombre de cons que je devais auparavant côtoyer presque tous les jours. A mon sens, j’avais plutôt gagné au change. Je ne voyais plus grand monde hors du milieu strictement professionnel. Mon champ de relations s’était considérablement réduit depuis mon arrivée à Edimbourg, à tel point que même mon médecin s’en était inquiété. L’isolement et la mise à distance des autres confirmait son diagnostic d’état de stress post-traumatique et m’encourageait toujours à en discuter avec mon psy. Ce que je refusais de faire, au vu de l’incompétence de ce dernier.

Et pourtant, malgré cela, des personnes parvenaient tout de même à se frayer un chemin jusqu’à moi et trouver une place dans mon univers où n’y en avait pas vraiment. Elias, d’abord. Dès mon premier jour sur l’arche, il avait peu à peu réussi à s’imposer, alors qu’a priori, cela n’avait rien d’évident. Puis avait suivi Alice. Et d’une certaine manière, Owen ce soir. On ne se connaissait que depuis quelques heures, mais, comme Elias, on pouvait facilement deviner que c’était le genre d’individus qui ne se faisaient pas oublier. Et quelque part, c’était ce qu’il fallait : qu’on revienne constamment me chercher. Que l’on me force à sortir de la routine dans laquelle je m’étais installé, qu’on me bouscule dans mes habitudes. Qu’on me fasse me faire sentir vivant.

Et c’était exactement ce qu’était en train de faire Owen à son piano. Certes, les remarques peu subtiles et les idées saugrenues me faisaient lever les yeux au ciel. Mais c’était un trait de sa personnalité, comme chez Elias, qui ne me dérangeait pas. Cela faisait même leur charme, avec cette prévenance qu’ils avaient malgré tout envers les autres. Et puis, ils avaient du charme tout court. Le musicien en irradiait littéralement, et chacun de ses mots en était imprégné. J’avais déjà assisté à de nombreux concerts, mais rien de comparable. Rien qui ne me touche, ni me fasse sentir aussi personnellement impliqué. Il jouait pour moi, et avec moi, dans une étrange sensation qui était cependant plus qu’agréable. Envoûtante. Magnétique.

Une vraie sirène.

La fin de sa performance arriva trop rapidement, ou trop lentement. Je l’applaudis à sa juste valeur, tout en m’approchant. Et le moins qu’on puisse dire, c’était qu’il n’y avait pas à se méprendre sur ses intentions. Et même si ce n’était clairement pas mon genre de méthodes, je n’allais pas non plus m’en plaindre. Pendant que mes doigts remontaient le long de son cou jusqu’à son menton, je me demandais, l’espace d’un bref instant plus lucide, si sa voix allait encore en pâtir de cette nouvelle performance. Mais il était adulte et savait se gérer, aussi ces pensées furent-elles rapidement évacuées.

Il ne restait plus que quelques centimètres entre nos visages, et je ne demandais qu’à ce qu’ils soient réduits à néant. Le silence tomba quelques instants après que j’ai signalé cette envie à haute voix, où la tension fut à son comble. Mais cette fois, il ne se déroba pas. D’un seul coup, sa main fut sur ma nuque et ses lèvres sur les miennes. J’y répondis immédiatement, plaçant ma main le long de sa mâchoire à nouveau pour l’attirer un peu plus vers moi. Le secondes furent d’autant plus longues qu’agréables, ce baiser comblant enfant une envie, pour cependant en éveiller d’autres. Il finit par s’éloigner et j’en profitais pour reprendre mon souffle, un sourire en coin quant à sa remarque.

"On se demande bien qui est le chat…"

Il se leva ensuite, pour aventurer à nouveau ses mains jusque sur ma peau. Les yeux rivés sur lui, captivé, je répondis à ses baisers pendant qu’il défaisait avec une lenteur presque indécente les boutons de ma chemise, passant une main sous la sienne pour profiter de la chaleur de son torse à mon tour. Une fois le vêtement loin, il prit quelques instants pour observer et parcourir ma peau mise à nue. Je le laissais faire, pas spécialement fier ou complexé par ce corps qui était le mien et qui m’indifférait la plupart du temps, d’autant que j’étais davantage concentré sur le sien. Bien plus intéressant.

Je retrouvais ses lèvres et profitais de notre proximité pour déboutonner sa chemise, beaucoup plus rapidement, sans pour autant y aller comme une brute. Avec la même énergie, je fis glisser mes mains sur la peau que je venais de dégager, l’explorant de long en large pour finir par les descendre le long de son dos pour l’attirer encore plus contre moi. Avec une telle proximité, difficile de rater certaines réactions, qu’elles soient plus subtiles, comme un frisson ou un soupir. Ou beaucoup moins.

"J’espère que tu n’es pas un de ces artistes qui trouvent le concept de lit superflu et qui dorment à même le sol…" murmurai-je alors que j’avais migré de ses lèvres jusqu’à la naissance de sa mâchoire, puis le long de son cou, ponctuant ce déplacement de baisers. Je n’avais plus vingt ans, et avais déjà bien assez donné dans le domaine pour savoir que je préférais éviter de le faire à nouveau.

Les choses ne se passaient pas toujours aussi bien. Plutôt rarement, même. Je devais avoir une faculté spéciale pour attirer les enfoirés de première. A rajouter sur mon CV. Et dans ces cas-là, c’est plus simple de s’embarrasser de personne. Peut-être que je passais à côté de personnes supers à cause de ça, mais c’était la technique que j’avais développée. Boiteux, mais ça marchait. Et puis, il y avait ceux qui insistaient et prenaient les devants pour moi. Ceux avec qui ça passaient tout seul. Ceux qui avaient du respect pour autrui, et pour les gens comme moi. Ça ne courrait pas les rues, et si on parlait encore de compatibilité…

Mais avec Owen, ça marchait. Pas besoin de me poser un milliard de question, ou d’essayer de changer mon comportement pour m’adapter. Comme Elias, il m’acceptait comme j’étais, et dans le fond, c’était tout ce que je demandais. La seule chose que je craignais, c’était qu’à la longue, je pouvais abuser de leur tolérance, de leur gentillesse. Les gens comme eux se retrouvaient parfois lésés par des gens qui profitaient d’eux. Et les blessaient. Ce que je voulais éviter à tout prix. Mais, même si je voulais les éloigner pour les protéger contre cette capacité que j’avais à tout faire foirer ce que je touchais, une autre part m’attirait toujours inexorablement vers eux. Et me forçait à oublier toutes les craintes que je pouvais avoir, ne serait-ce que pendant quelques heures.

Comme maintenant, où je m’abandonnais complètement dans la découverte de son corps, volontairement indifférent à toutes les pensées rationnelles qui pouvaient me traverser l’esprit. Je l’avais autant cherché que lui ce soir, et je ne regrettais rien. Demain était un autre jour. J’appréciais sa manière de prendre le temps, de prendre le soin. Et je ne pouvais que lui rendre la pareille, explorant son corps avec mes mains et ses lèvres avec les miennes. Je prenais note de ses réactions, repérant les endroits ou les gestes qui le faisaient réagir. Tout en prenant également soin de lui signifier clairement la même chose. Je sentais la chaleur de son corps se propager au mieux, le plongeant à la fois dans une douce torpeur et dans un tourbillon d’énergies et de sensations.

Ce qui ne m’empêcha pas de m’inquiéter pour un détail, et non des moindres : le lit. Sa réponse, avec sa voix si charmante, me tira un nouveau sourire en coin, et je parvins à répondre, avant de l’embrasser à nouveau :

"La perfection même."

Je me laissais ensuite guidé jusqu’à sa chambre, plongée dans l’obscurité, ou presque. De toute manière, je n’étais pas venu pour admirer la décoration. Et la lumière que mon hôte alluma était parfaitement suffisante pour que je parvienne à le voir. C’était tout ce que je voulais. Retrouvant son corps comme si cela faisait des heures que l’on s’était séparés et non quelques brèves secondes, je répondis à son étreinte jusqu’à ce que ses pas ne me contraignent à m’asseoir sur le lit. D’un autre côté, je l’avais demandé, il était là.

Je n’aurais de toute façon pas pris le temps de répondre à sa question, et il ne l’aurait pas attendu non plus. Alors qu’il s’élançait sur moi, je le tirais dans ma direction en même temps. Le reste des vêtements volèrent à travers la pièce, un peu aidés par mon don, qui facilitait le déshabillage pendant que mes mains étaient occupées à explorer ce corps qui se dévoilait de plus en plus. Son regard restait planté dans le mien, dans une expression de bonheur simple et de plaisir. Ce qui me désarçonna un peu, habitué à moins d’attention de la part de mes partenaires. De même que la douceur de sa main dans mes cheveux. Un geste plus intime que tout le reste. Et un regard qui me faisait me sentir unique, important. Comme celui d’Elias. Un regard qui me rappelait ce que me disait ma mère parfois : j’aimerais tant voir le monde de la même manière. Et j’aimerais être regardé de cette manière encore et encore.

Quelque chose se serra dans ma poitrine, mais comme le reste, je parvins à l’ignorer. Avec la même douceur et presque avec précaution, je passais une main sur sa nuque et dans son dos, et fis changer nos positions pour le placer en-dessous de moi. Je l’enlaçais, plongeant ensuite mon visage dans sa nuque pour profiter de l’odeur de sa peau. Du poids de son corps en-dessous du mien. De la texture de ses cheveux sous mes doigts. De sa peau nue contre la mienne. De sa respiration si proche de mon souffle. Jusque quelques secondes hors de tout le reste, profitant uniquement de lui, de sa présence et de sa lumière. Pour qui vit dans l’obscurité constante, c’était si rassurant et si apaisant.

Quelques secondes, avant de retrouver à nouveau le chemin de ses lèvres et de son corps. Ma respiration reprit un rythme plus rapide, pendant que mes gestes se firent automatiques et naturels à la fois. J’en oubliais à nouveau tout le reste, perdu dans son plaisir et le mien. L’instant présent, et non pas le passé ou le futur pour une fois. Juste lui et moi.

La légère gêne dans son sourire ne m’échappa pas. C’est ce genre de détails que j’avais appris à remarquer et à interpréter, c’en était devenu presque complètement naturel. Et ce que ce sourire en particulier me disait, c’était que, malgré la confiance en soi qu’il affichait ; les compliments ne lui déplaisaient pas. C’était plutôt une bonne chose, si cela le touchait, et qu’il n’était pas imbu de lui-même au point de se sentir supérieur. Mais je commençais un peu à le connaître, et cela m’aurait étonné de sa part. C’était même plutôt agréable de le voir réagir de cette façon. Cela ne faisait plus vraiment de nous de parfaits étrangers, malgré notre récente rencontre. Il fallait aussi dire que le courant passait bien, cela aidait. Et il passait même plus que bien. Preuve était qu’une première fois pouvait très bien se passer. Pour peu que l’on tombe sur la bonne personne.

Les vêtements étant devenus superflus, voire même un obstacle, ils furent écartés sans ménagement pour nous permettre de profiter pleinement du corps de l’autre. Mais, peut-être plus qu’avec d’autres, je le laissais explorer à sa guise et sans réserve. D’ordinaire, avec des inconnus rencontrés le soir même, il n’y avait pas une telle proximité. Mais Owen mettait tellement de soin dans ses gestes que cela m’inspirait une confiance assez élevée pour ne pas réagir en retrait ou en rejet. C’en était même presque perturbant pour quelqu’un de méfiant comme moi. Peut-être que je n’avais plus l’habitude des types attentionnés ou avec un comportement normal. J’en aurais presque oublié de faire de même.

Je me permis donc de l’enlacer quelques instants, le traitant avec la même douceur et la même attention, oubliant mes réserves habituelles. Une pause tendre, avant de reprendre ce que nous avions commencé, après un dernier regard partagé. Mes mains reprirent leurs caresses, plus passionnées et directes cette fois, s’aventurant sur le reste de son corps pour le découvrir jusqu’aux moindres recoins pendant qu’il faisait de même. Les dernières retenues et barrières s’effacèrent pour ne laisser que nos deux corps l’un contre l’autre, dans un seul et unique mouvement, comme un même souffle. Les murmures se firent plus sonores et plus exaltés, alors que nos respirations s’emballaient, animées par la même passion et la même soif. Un instant de bonheur hors du temps, qui dura une éternité et une trop brève seconde en même temps.

Avec un dernier soupir de plaisir, je me laissais tomber à plat ventre à côté d’Owen, attendant que ma respiration se calme un peu et que mon corps redescende doucement de cette vague d’endorphines qui le faisaient planer. L’humidité de notre sueur sur draps en était même presque agréable. Je fixai Owen à côté de moi, esquissant un sourire lorsqu’il déposa un nouveau baiser sur ma peau.

"Est-ce que par hasard je t’aurais un peu épuisé ?" lui demandai-je en parcourant distraitement son torse avec mon doigt, non sans une certaine ironie dans la voix. Je me rappelais parfaitement sa remarque de toute à l’heure, et n’allais pas l’oublier de sitôt. Pas que je sois en pleine forme, mais mes insomnies me maintenaient parfaitement éveillé. Pour une fois que c’était pour quelque chose d’agréable en plus, et pas uniquement pour bosser plus, je n’allais pas me priver. Quoique, bosser n’était pas un choix pour moi, mais une évidence. Je croisais son regard, et y lu la même pensée qui me traversait l’esprit quant au programme du reste de la soirée. Je haussais légèrement les épaules : "Je ne dors pas beaucoup. Il faudra bien que je m’occupe jusqu’à demain matin…"

Recommencer, avec plaisir, mais pas tout de suite. Avec un nouveau soupir, je m’installais contre lui, posant ma tête sur son torse pour en apprécier la chaleur et une respiration plus calme. Ce qui me permit également de réfléchir de manière plus claire. Après ces ébats, mes pensées revinrent petit à petit et j’essayais d’analyser la situation avec un peu de recul, ne pouvait m’empêcher de faire autrement. Mais, je ne vis rien de particulier à changer. Ma cage thoracique se contracta, mais je l'ignorais à nouveau. Après un moment de silence, je réfléchis à voix haute :

"Je suppose que je devrais sortir plus souvent. Ça me donnerait peut-être l’occasion de te recroiser…"

C’était sans doute la façon la plus tordue qui soit de lui demander si on pouvait garder le contact après cette nuit. Le fait que je n’ai pas l’habitude de le faire n’était pas une excuse. Mais c’était comme ça que j’étais.

Je ne versais pas dans le romantisme, c’était le moins qu’on puisse dire. L’exemple désastreux de mes parents ne m’avait pas non plus encouragé à croire en un quelconque engagement relationnel, du moins dans le sens traditionnel. Sans parler de mon pessimisme naturel, qui empêchait de me montrer un tant soit peu ouvert à ce genre de comportements. Je me montrais toujours réservé dans ce domaine, n’exprimant même pas facilement une simple affection amicale. Le sexe, c’était encore différent, tant que je le séparais de tout sentiment au-delà d’une attirance mutuelle. Du moins, c’était ce que je pensais. Elias était passé de ce qui ne devait être qu’une histoire d’un soir à un quelque chose de plus régulier, et plus proche. Quoi que ce soit d’ailleurs. Par quel miracle, c’était un mystère. Mais un qui n’avait sans doute pas besoin de réponses.

Et c’était sans doute ce qui était en train de se passer avec Owen, pour que je me permette de me montrer aussi proche. D’ordinaire, une fois l’acte terminé, chacun s’en allait de son côté. L’autre finissait souvent pas s’endormir, et je me retrouvais à devoir partir, ne souhaitant pas poireauter comme un con en sachant que le sommeil ne viendrait pas. Mais pas ce soir. Même si les draps détrempés constituaient une preuve de l’intensité de nos efforts physiques, le chanteur semblait tenir le coup. Et à en croire son sourire, il avait pris autant de plaisir que moi. C’était tout de même mieux qu’à sens unique, pas besoin de tergiverser là-dessus.

Pendant que ma main continuait à effleurer sa peau, je me contentai d’un léger hochement de tête en guise de réponse. Si le sexe suffisait à me mettre K.O. et à me faire dormir, cela se saurait et je n’aurais sans doute pas besoin de consulter pour mes insomnies. De même, si je n’oubliais pas de manger un peu, je n’avais pas de raison d’avoir une baisse d’énergie. J’esquissai cependant un sourire en coin lorsqu’il m’assura qu’il resterait avec moi toute la nuit, pour réitérer nos exploits sportifs ou autres.

"Très aimable de ta part. Mais on verra bien si tu tiens jusqu’au bout."

Pas que j’en doute, mais son assurance méritait bien qu’on lui tienne un peu tête. Mes doigts remontèrent le long de son torse puis de son coup, jusqu’au bout de son menton. Un geste ample, qui accentuait le défi sous-entendu dans mes paroles. Mais c’était ensuite pour mieux me caler contre lui, profitant du calme propre à ce moment après le sexe pour savourer les dernières sensations de plaisir tout en se remettant de ce qui les avait créées. Faisant écho à la sienne dans ma nuque, ma main remonta pour se poser contre la base de son cou, esquissant de légers cercles de temps à autre pendant que je fermais les yeux pour apprécier ce moment de calme. Là encore, je me permettais cette proximité, souhaitant quelque part partager plus qu’un acte purement charnel. Une présence apaisante, une respiration tranquille et des gestes rassurants.

De temps en temps, je pouvais bien me permettre ça.

Cela ne dura pas très longtemps avant que mon esprit ne se remette en marche, et que mes pensées s’échappent de ma bouche. Même sans le voir et s’il tentait de le cacher, je sentis son amusement, et ouvris les yeux pour fixer son regard rieur. Je fronçais les sourcils, et affichais une moue boudeuse à sa remarque.

"Je sais très bien utiliser le téléphone. Je suis même capable de t’envoyer un mail, un pigeon voyageur ou un télégramme en morse si je veux, Morrison." marmonnai-je, le laissant cependant me serrer contre lui, puis déposer un baiser sur mon front. Je me détendis, profitant de son étreinte et de la perspective de le revoir. Ma main descendit sous son aine pour que je puisse faire de même, et je me contentai d’ajouter : "Mais ton numéro, ce sera très bien."

On resta ainsi en silence durant de longs instants, avant qu’il ne se décide à se lever, non sans un autre baiser que je lui rendis. Alors qu’il s’éclipsait dans la plus simple tenue, je quittai le lit pour récupérer et enfiler mon sous-vêtement. Je laissais aux gens comme Owen ou Gear le soin de faire profiter le reste du monde, ou simplement eux-mêmes, de leur nudité. Et puis, il serait sûrement ravi de l’enlever à nouveau en temps voulu, connaissant mon hôte. Sous les claquements de doigts de la musique, je parvins même à retrouver mon pantalon à l’autre bout de la pièce, attrapant mon téléphone pour retourner m’asseoir sur le lit. Ce n’était pas pour le fameux échanges de numéros, ou du moins pas directement. Mais j’avais de la peine à rester éloigner du dispositif de veille informationnelle que j’avais mis en place. Les nouvelles pouvaient tomber à n’importe quel moment, et j’avais intérêt à le savoir au plus vite dans mon boulot.

Pris par ce que je voyais défiler sur l’écran, je ne relevais le regard que pour voir Owen me tendre un verre d’eau avec un clin d’œil. Je remarquai alors le plateau sur la table de nuit, et posai à nouveau mon téléphone loin. Je le remerciai, avant de prendre le verre et le bus d’une traite, réalisant après coup à quel point j’avais soif. Je soupirais d’aise, avant de fixer à nouveau le musicien durant quelques instants. Malgré l’effort, il semblait de bonne humeur. Mais lorsqu’il parlait, son ton rocailleux montrait qu’il avait néanmoins du un peu forcer. Je me levai pour effleurer à nouveau son cou, avec un sourcil légèrement froncé.

"Ta voix, ça va ?" J’inclinai légèrement la tête, puis haussai les épaules. J’attrapais deux trois trucs à manger, plus pour le geste que par réelle faim. Je désignai sa nudité d’un geste nonchalant de la main. "Ne va pas attraper froid juste pour mes beaux yeux, la Sirène."

La vue n’était certes pas désagréable, mais tout de même.

Et il riait, encore. Je ne pensais pas être aussi drôle, mais ce n’était pas vraiment là la question. Owen était quelqu’un qui visiblement prenait les choses du bon côté et avec humour. Plutôt mon contraire, donc. Mais je ne détestais pas ce genre de caractère, pas forcément. Aussi cynique que je puisse l’être, je savais qu’il était facile de l’être, tandis qu’être positif demandait plus de force et de courage. Ou d’être stupide, aussi. J’hésitais souvent entre les deux avec Elias. Mais dans le cas présent, je trouvais juste le son du rire de mon amant… agréable à écouter. Assez en tous cas pour bouder encore quelques secondes, avant d’abandonner avec un léger soupir. Et puis, j’étais juste bien contre lui, inutile de le cacher.

Lorsqu’il s’éclipsa, mon côté workaholic reprit le dessus, à tel point qu’il me sembla juste se passer une seconde entre le moment où j’avais pris mon téléphone et celui où je révélais le regard pour voir un verre d’eau m’être tendu. Un autre de ces mystères spatio-temporel. Ou peut-être était-ce simplement dû au fait que mon emploi du temps était largement pris par mon travail, laissant peu de place pour le reste. Mais, Owen ayant réussi à capter mon attention et ce de bien des manières, je n’eus aucun mal à reposer mon téléphone pour me concentrer à nouveau sur lui. Après m’être désaltéré, je m’enquis de l’état de la voix de mon interlocuteur. Une sirène sans voix, c’était tout de même un peu triste. Surtout si j’en étais un peu responsable.

Il m’attira contre lui avec un sourire, et même si sa réponse était dite d’une voix toujours un peu abîmée, je me contentais d’hocher doucement de la tête, profitant de la proximité douce et rassurante de sa peau. Je n’allais pas insister, d’autant que je détestais lorsqu’on le faisait avec moi. Une réflexion me vint cependant, tandis que je reposais ma tête quelques instants sur son épaule :

"Ma mère faisait un grog avec du citron et du clou de girofle. Ou un autre truc, avec du thym et du miel. Ça marchait assez bien…"

Quand elle était plus jeune, elle avait été très impliquée dans la chorale de son église, puis celle de notre quartier. Du temps où elle avait encore l’occasion et l’envie de participer à des activités. Peut-être que j’enjolivais un peu mes souvenirs, mais il me semblait qu’elle avait une très belle voix. J’étais d’ailleurs surpris qu’elle intervienne ainsi dans la conversation. Même à Alice ou Elias, j’en parlais très peu. Pourtant, même si j’essayais de ne pas la voir, elle était toujours là, dans un coin de ma tête, avec son sourire…

J’allais vers le plateau pour attraper de quoi manger, alors qu’une nouvelle chanson s’élevait dans la chambre. J’arquai un sourcil à la réponse d’Owen quant à sa nudité, avant de lever les yeux au ciel. Il alla tout de même récupérer son caleçon, avant de se mettre à danser. Un peu perplexe au début, je l’observais néanmoins avec attention, reconnaissant qu’il était assez fascinant à regarder. Il dansait avec tellement de naturel que cela semblait faire partie de lui, et à en croire ce que j’avais pu en voir, ce n’était pas si étonnant. Il avait la musique dans le sang, et une tendance à l’extraversion qui s’alliaient très bien. Mais je n’eus malheureusement pas le temps de profiter longtemps de ce spectacle sensuel et pas désagréable à l’œil qu’il attrapait ma main.

"Je ne…"

Danse pas. Me retrouvant néanmoins dans ses bras, je poussais un nouveau soupir, et capitulais. A défaut de le suivre dans ses mouvements, je le laissais parcourir ma peau de ses doigts et de ses baisers, faisant de même, mais avec beaucoup moins de rythme. Il n’y avait rien à faire. J’avais beau maîtriser des tempos parfois difficile au piano, quand il s’agissait de danser, je n’avais même pas envie d’essayer. Je laissais ça aux gens beaucoup plus doués, comme Elias ou Owen. Transporté par les gestes de ce dernier et par la musique, je suivis cependant, par principe. Et parce que je ne pouvais pas rester indifférent, surtout pas à ces mots glissés dans mon oreille.

Il s’éloigna cependant pour aller vers le plateau et manger à son tour, non sans m’adresser son petit sourire en coin. Je secouai la tête, à moitié dépité et à moitié amusé. Encore le jeu. Une nouvelle chanson débuta, et je le fixais durant quelques instants, croisant les bras en soutenant son regard. Après quelques instants, je m’avançais pour lui faire face et m’installais à califourchon sur ses genoux, passant mes bras derrière son cou pour l’attirer jusqu’à moi. Assez près pour lui murmurer à mon tour :

"Si c’est le cas, c’est peut-être toi que je dois blâmer… encore." Mes lèvres descendirent le long de son cou, et l’une de mes mains suivit la courbe de son dos avec une lenteur presque indécente. "Et si tu as besoin d’être réchauffé, il suffit de le demander…"

Mes doigts glissèrent le long de ses reins, puis de son caleçon pour délicatement passer dessous et le tirer vers le bas. Avant de retirer ma main et de quitter ses genoux d’un seul coup pour simplement m’asseoir à côté de lui et porter le verre d’eau à mes lèvres.

"Ou alors, tu préfèreras peut-être ce fameux grog, pour ça ?" ajoutai-je simplement en haussant les épaules, non sans un petit sourire en coin à mon tour. Parce que moi aussi, je savais jouer quand je voulais. Et qu’avec lui, il fallait reconnaître que cela m’amusait bien. Ce qui était sans doute le plus étonnant.

J’étais le premier étonné de voir que l’on s’était si vite entendu. Quoique, Owen semblait être le genre de personnes qui pouvait s’attirer facilement la sympathie de beaucoup. Moi y compris. Et surtout, la confiance, chose encore plus rare. A le voir se comporter de manière si naturelle et si spontanée, cela avait une sorte d’effet apaisant, au-delà de la légère exaspération que ses blagues ou comportements directs pouvaient créer. Cela faisait aussi partie de son charme, au final, et même si je ne le montrais pas forcément, je n’y étais pas indifférent. Et puis, il savait se montrer compréhensif, ne relevant pas le sujet de ma mère. Ce n’était après tout le propos central, mais j’appréciais tout de même. Je répondis donc par un léger sourire lorsque sa main se contenta de passer sur ma joue. Il n’y avait pas besoin de dire plus, ou même quoi que ce soit.

Malheureusement pour moi, la suite du programme incluait de se lever pour danser. Activité pour laquelle je n’avais aucune affinité ou même once de talent. Avalant mes protestations, je laissais mon interlocuteur mener la danse, assez littéralement. Au moins lui était doué dans ce domaine, et semblait l’apprécier à sa juste valeur. D’un autre côté, cela lui correspondait tout à fait, et même pour un incompétent du milieu comme moi, je pouvais voir que c’était aussi naturel pour lui que de respirer. Cela faisait partie de qui il était, et il l’exprimait avec cette même énergie et passion qu’avec la musique. Alors, malgré mon aversion pour la danse, je ne pouvais m’empêcher d’apprécier ses mouvements et d’y trouver la même sensation qui me plaisait et m’attirait en général chez lui.

Et puisque mon incapacité à aligner trois mouvements en rythme ne semblait pas l’ennuyer, je ne voyais pas de raison de ne pas continuer ce que nous avions commencé. En lui rendant la monnaie de sa pièce, et en lui montrant que moi aussi, je pouvais jouer si je le voulais. Et malgré la frustration de mon brusque éloignement, il resta bon joueur et éclata de rire. Un léger sourire, plus attendri, apparut sur mon visage. Peu importe le jeu, il fallait que les deux soient d’accord et l’accepte pour en faire tout l’intérêt, et surtout par respect. Je réalisai que j’appréciais particulièrement le son de son rire, et me dépêchais d’éloigner cette pensée de mon esprit avant que ma poitrine ne se pince encore plus.

"Parfait, prenons soin de cette voix. Et de son propriétaire." Je passais néanmoins à mon tour une main sur sa joue, avant de le laisser s’habiller d’un t-shirt pour se diriger vers la cuisine.

Lorsque son regard se porta sur moi, je me levai pour le suivre, attrapant au passage ma chemise et en refermant la majorité des boutons avant d’arriver à la cuisine. Juste à temps pour voir mon hôte se lancer dans un étrange ballet au rythme du nouveau morceau et pour attraper les différents ingrédients dont j’avais besoin pour son grog. Je pris quelques instants pour l’observer, croisant les bras avec un sourire. Il semblait bien s’amuser, mais également d’apprécier le morceau avec cette bonne humeur qui le caractérisait. Il s’installa à la table au centre de la pièce et reporta son attention sur moi. Je restais quelques instants à le regarder dans les yeux, profitant également de la musique. Trop romantique, peut-être. Mais c’était un thème tellement central dans cet art qu’on ne pouvait pas vraiment passer à côté. Et qui n’empêchait nullement de l’apprécier.

Je finis par reprendre une expression plus neutre, et me dirigeais vers le plan de travail pour préparer ce grog, en commençant par faire chauffer de l’eau. J’y ajoutais un peu de citron et de miel, puis les clous de girofle, avant de tendre la tasse à Owen. Je pris quelques secondes pour réfléchir, puis demandais :

"Est-ce que tu veux que je fasse quelque chose à manger ?" Histoire d’avoir un vrai repas consistant après ces efforts. D’après ce que j’avais pu voir, y avait de quoi faire quelque chose dans cette cuisine. J’attendis cependant son autorisation avant d’investir davantage les lieux, puis l’ayant obtenue, hochai la tête. Dans l’autre pièce, un autre morceau débuta, dans la lignée du précédent. Je restais devant mon interlocuteur, hésitant durant quelques secondes, avant de m’avancer vers lui. Me baissant pour être à son niveau, je passai une main sur sa nuque pour l’attirer doucement vers moi et déposer un baiser sur ses lèvres. Pour lui signaler que je n’oubliais pas le reste. Après quelques instants, je me redressai à nouveau et désignai le grog : "En attendant, bois ça pour ne pas devenir aphone, la sirène. Tu peux rajouter du rhum, si tu veux."

Ce faisant, j’entrepris de sortir les quelques ingrédients qui traînaient dans la cuisine, restes de légumes, pâtes, sauce tomate en conserve et épices ; ce qui serait largement suffisant. Pendant que je préparais la casserole pour les pâtes, un couteau s’élevait dans les airs pour commencer à couper les légumes, et une poêle se plaça d’elle-même sur une plaque tandis qu’un filet d’huile d’olive s’écoulait depuis la bouteille suspendue au-dessus par elle-même. Tout cela au rythme lent de la mélodie. Ce n’était pas que je souhaite impressionner quiconque, j’étais de toute façon trop absorbé lorsque je cuisinais pour me soucier de détails pareils. C’était simplement ma manière de faire, et qui avait l’avantage de me faire gagner énormément de temps.

Il ne fallut donc que quelques minutes avant que je me retourne vers Owen pour lui tendre une assiette remplie de pâtes. Je m’assis ensuite à ses côtés, une portion beaucoup plus modeste devant moi. De manière générale, je mangeais peu, mais depuis l’incident à New-York, je ne ressentais presque plus jamais la faim. Si on ajoutait en plus un certain élitisme culinaire hérité de ma mère, autant dire que mon médecin n’était jamais vraiment content de voir mon poids flirter avec les basses limites J’en oubliais d’autant plus facilement de manger, et devais bien souvent me forcer. Mais quand c’était en bonne compagnie, c’était tout de suite plus agréable.

"Je ne cuisine pas pour tous les hommes avec qui je partage un lit." précisai-je en jouant avec un morceau de légume. Pour mettre les choses au clair, mais aussi pour ajouter, en relevant le regard vers Owen avec un petit sourire amusé : "Seulement ceux qui essaient vainement de me faire danser. Et qui savent m’envoûter."

Que cela soit pour sa voix, son accueil, son caractère, le sexe, ou tout cela en même temps ; je lui laissais le loisir de choisir.