It's a kind of magic - Wairua

C'était avec une certaine excitation qu'Oliver attendait son invité qui devait arriver dans quelques minutes. Il ne savait pas réellement à quoi s'attendre mais avait fait en sorte de pouvoir rencontrer Wintertowne sans que personne d'autre ne soit présent. Dans son luxueux appartement, il était seul. Arthur se trouvait chez sa mère pour la soirée et Teddy avait de la paperasse à terminer au cabinet. Il avait été prévenu des plans de son mari et avait prévu de quoi s'occuper de longues heures. Le marquis ne se faisait pas trop de souci et savait que personne ne viendrait les déranger dans cette première séance plus poussée de magie. Depuis des mois qu'il cherchait à développer cette partie de sa vie et enfin il avait trouvé un mentor digne de ce nom. Presque par hasard d'ailleurs, car c'était bien Wairua qui était venu à sa rencontre et non l'inverse. Il en savait peu sur lui au final, mais assez pour être conscient qu'il avait eu de la chance de tomber sur lui. Un universitaire respecté dans son domaine doublé d'un puissant et ancien magicien. Quel âge il avait exactement et quelle était l'étendue de ses pouvoirs, il ne savait pas trop, mais il avait été assez bien élevé pour savoir que ce genre de questions ne se posaient pas. Non mais !

Avec la préparation de son nouveau spectacle qu'il avait entamé depuis quelques semaines déjà, il n'avait pas eu le temps de pratiquer la vraie magie. Il était plongé jusqu'au cou dans des calculs complexes et des maquettes, entourés dans sa tâche par ses deux vaillants et irremplaçables assistants ainsi que de son fidèle ami Barthram. Dire que ces deux-là s'étaient bien trouvés et bien... s'était peu dire ! Auraient-ils été à l'école ensemble qu'ils auraient rendu fous leurs professeurs avec leurs nombreuses facéties. Oli avait toujours détonné dans son entourage guindé de la haute société et il remerciait le ciel tous les jours d'avoir auprès de lui des gens qui le comprenaient et le suivaient dans ses délires. Babar faisait parti de ses personnes et il était même le premier à montrer son enthousiasme dès qu'il s'agissait d'émerveiller le monde. Combien de fois avait-il éclaté de rire en applaudissant alors que le magicien changeait la couleur de ses cheveux (il avait une préférence pour le rose bubble-gum) en faisant pleuvoir sur eux des paillettes ? Plus s'était outrancier voir kitsch et plus cela les amusait follement ! Deux gamins qui avaient une passion commune pour les voyages et les bols de céréales colorés.

A plusieurs reprises ils étaient parti en voyage, sur un coup de tête, afin de vivre de brèves mais jolies aventures. Ils avaient nagé avec des dauphins en Australie, mangé dans des petits restaurants en bord de mer en Italie et dévoré des glaces de la taille du Mont Olympe en Grèce. Dès qu'il se fatiguait, Scavenger le portait sur son dos afin de ne pas le laisser derrière et c'était ce qui faisait dire au marquis qu'il s'était trouvé là un ami en or. La plupart des gens voyaient en lui un excentrique écervelé, mais il était bien placé pour savoir qu'il y avait bien plus derrière ce sourire farceur et tant pis pour les constipés prétentieux ! Il avait le cœur sur la main et était toujours là dans les bons ou les mauvais moments. Avec sa santé fragile, Versus passait par des phases difficiles et il avait toujours pu compter sur Barthram pour le réconforter et lui remonter le moral. Quelque part, il faisait partie de sa famille et il savait que ses proches adoraient ce gentil fou qui avait un effet si positif sur leur proche.

Oliver sentait pourtant que l'amusement ne serait pas aussi déluré avec Camille, mais il fallait dire qu'ils se retrouvaient pour des raisons totalement différentes. Il s'était d'ailleurs assuré de se ménager avant cette rencontre, ne sachant pas ce que celle-ci lui demanderait comme énergie. Jusqu'à présent, son niveau de magie était assez faible pour qu'il arrive à la pratiquer sans conséquences néfastes pour son corps. Pourtant, s'il voulait progresser, il savait que cela passerait par des difficultés à surmonter au niveau physique. Il faudrait qu'il en parle à son mentor avant de commencer quoique ce soit, mentor qui venait d'ailleurs d'arriver au vu de la sonnette qui retentit dans l'entrée. Ni une, ni deux, comme s'il était monté sur ressorts, Oli se précipita vers le hall, ses boucles bondissant comme de mignonnes petites chèvres sur sa tête. Il portait une tenue décontractée faite d'un pantalon de training et d'un t-shirt portant le symbole de l'un de ses spectacles sur le dos. Il n'avait pas un ego particulièrement développé, mais il avait tellement de goodies chez lui qu'il fallait bien les user un peu !

Après une glissade maîtrisée sur le parquet parfaitement ciré par les bons soins de Bernard, son homme de ménage, il ouvrit la porte dans un geste presque brusque mais avec un large sourire.

- Camille ! Entrez, je vous en prie. Bienvenue ! Il s'écarta pour le laisser passer et referma derrière lui avant de lui indiquer la direction du salon qui avait été débarrassé de la majorité de ses bibelots pour l'occasion. Merci encore d'avoir accepté d'être mon enseignant. Je vous en suis très reconnaissant.

Et ce n'était pas des paroles en l'air. Oliver était bon juge du caractère des personnes qu'il rencontrait et il avait senti que, bien qu'ils soient très différents l'un de l'autre, il s'entendrait bien avec son invité. Mais surtout, qu'il pouvait lui faire confiance, car au-delà de la difficulté de trouver un mentor s'ajoutait encore celle d'en dénicher un qui pourrait assurer un cadre sécurisé pour de telles leçons. Maintenant qu'il se trouvait devant lui, en chair et en os, il observait d'un air curieux mais attentif. Il avait hâte de commencer et même s'il arrivait à contenir son excitation et à rester calme, il ne pouvait se départir de son regard pétillant qui en disait long sur sa nature profonde.

La chute de Cnossos et l’avènement du Nouvel Ordre avait accéléré les choses. Depuis plusieurs mois, un air de changement s’annonçait, inéluctablement. Et comme souvent, j’avais pris mes dispositions. La sicilienne avait bafoué notre accord, et la mort de Kassianov avait été comme un couperet de fin définitive à notre relation. Sans mauvais jeu de mots. J’avais emporté mes recherches du labo, tant et si bien que c’était comme si je n’y avais jamais mis les pieds. J’avais envoyé un dernier message à la Duchesse, pour lui signifier sans la moindre politesse de ne pas penser à me revoir de sitôt. De toute manière, elle était affaiblie depuis sa destitution, et j’avais bien compté là-dessus.

Les choses étaient toujours aussi changeantes, ainsi allait l’ordre du monde.

Il me restait donc à repartir vers une autre direction, comme à chaque fois que le vent tournait. L’énergie magique dégagée ces derniers temps avait cependant ravivé de légères braises en moi, et je me sentais porté par un nouveau souffle. Léger, mais bien présent. J’avais pris acte de la succession de deux nouvelles sorcières à la tête de l’Ordre et avais été présent lors de la passation de pouvoir. Pour leur témoigne du fait que je faisais acte, et que ma foi, rien ne m’empêchait d’être de leur côté a priori. Malgré mes antécédents avec l’apprentie de Cnossos, cette dernière avait su se démener pour surpasser le maître, et je lui reconnaissais au moins ça.

Mais j’avais également profité de l’occasion pour leur annoncer que je comptais former de mon côté de nouveaux magiciens, sans buts belliqueux ou ennemis toutefois. Simplement pour poursuivre le savoir de la magie, et peut-être ouvrir un couvent lié à l’apprentissage magique. Mes velléités pour l’enseignement semblaient me rattraper. Ce qui était une bonne chose, sans doute. Un signe que je revenais à la vie et à l’avenir. Cependant, avant de crier victoire, il allait bien falloir commencer quelque part.

J’avais passé les semaines suivantes à chercher de potentiels apprentis. Avec la magie qui flottaient dans l’air, notamment suite à plusieurs événement célestes favorables, ce n’était pas si compliqué. Et, dans le cas d’Oliver, particulièrement évident. Mon ancien moi aurait adoré son spectacle de magie. Je le regardais en analysant les différents tours présentés, surpris que cela me demande plus de réflexion qu’à l’ordinaire. Il excellait dans son art, je n’avais rien à dire. En ce qui concernait la vraie magie cependant, c’était différent. Mais prometteur. Je l’avais donc approché par la suite pour lui proposer de l’aider dans ce domaine. Il m’avait répondu avec autant d’enthousiasme qu’il mettait dans ses tours, ce qui était un peu désarçonnant. Mais nous nous étions mis d’accord pour débuter les leçons, c’était l’essentiel.

J’avais marché depuis chez moi pour rejoindre son appartement, profitant de l’air marin revigorant. Le quartier était aisé, mais calme. Je le traversais, sans prêter attention aux folies clinquantes que l’humain achetait pour se rassurer et pavaner. Mon futur élève n’était toutefois pas ainsi, je l’avais bien senti à son contact. Il était profondément bon et altruiste. Une qualité, mais qui n’allait pas sans obstacles. L’intuition me disait toutefois qu’il s’en sortirait, et qu’il était bien entouré. Je n’étais pas encore assez en état pour jouer les psychologues, même si cela faisait partie du métier d’enseignement. Chaque chose en son temps.

Après avoir sonné, j’attendis sans bouger derrière la porte. Je ne réagis pas en entendant des bruits de courses et de l’agitation derrière la porte. Ni même quand cette dernière s’ouvrit grand sur un sourire immense et un enthousiasme tout aussi grand. J’allais devoir m’y faire, décidément.

"Bonjour Monsieur MacNamara." J’inclinai doucement la tête, ne pouvant toutefois retenir un léger sourire. Je le suivis à l’intérieur, ne prêtant qu’un regard à l’appartement. Des souvenirs, des objets révélateurs de son quotidien. Si je me souvenais bien, il était marié et avait un enfant. "C’est moi qui vous remercie d’avoir accepté. Tout le monde n’est pas prêt à apprendre quelque chose d’aussi complexe que la magie. Ni apte. Mais c’est votre cas. D’où ma présence aujourd’hui."

Je m’assis à la table, y posant le sac que j’avais pris avec moi. Je le vidais, dévoilant divers objets comme des bougies, des herbes, une coupe, une branche de cerisier, de la sauge, de l’eau, et beaucoup de livres. Je sortis un petit carnet et un crayon, et commençai à prendre des notes, fixant mon interlocuteur.

"Commençons par le commencement : quelles expériences avez-vous avec la magie ? Qu’en savez-vous ? Connaissez-vous d’autres magiciens ou sorcières ? Y en a-t-il dans votre famille ? Comment ressentez-vous la magie ? Qu’attendez-vous de mes cours ?" Je fixais mon regard sur lui, lui laissant le temps de digérer mes questions. Après un moment, j’ajoutais, avec un peu plus de douceur dans la voix : "Je sais que vous n’avez pas une santé facile. Cela n’aidera pas toujours, je préfère vous le dire. Toutefois, vous pouvez également faire de votre faiblesse une force, de votre singularité votre marque. D'autres l'ont fait avant vous. Vous êtes motivés, et je sens que vous avez le potentiel d’aller plus loin. Le voulez-vous ?"

Il fallait mettre les points sur les i tout de suite, pour partir sur de bonnes bases. Mais pour une fois, j’étais optimiste.

On aurait pu croire qu’un tempérament aussi opposé au mien puisse porter préjudice à mon élève, ainsi qu’à nos leçons. Or, il n’en était rien. J’avais vécu tellement pire, de ma longue expérience à enseigner. Qui plus est, MacNamara avait le même comportement qu’un enfant, ce qui en soi n’était ni une bonne ou mauvaise chose, mais j’en avais tellement vu défiler dans mes cours que cela ne me faisait rien de particulier désormais. Cela allait avec le personnage. Quoique, à bien y réfléchir, c’était un parcours assez étonnant pour un membre de l’aristocratie. Mais là encore, je n’étais pas ici pour juger quoi que ce soit, en dehors de mon domaine d’enseignement.

Pour commencer, je pus remarquer les capacités de mon élève à s’empourprer lorsque l’on mentionnait ses aptitudes magiques. Ce qui résultait soit d’un manque de connaissances dans le milieu, de mauvaise confiance en soi ou d’un tempérament humble. Voire un mélange des trois. C’était de toute manière quelque chose qu’il allait falloir travailler, d’une façon ou d’une autre. J’agitais doucement la main, tout en le regardant, imperturbable.

"Je ne suis pas du genre à faire des compliments à la légère. Et il est normal que votre niveau soit bas, surtout si vous étiez autodidacte jusque-là et sans lien généalogique. Tout le monde doit commencer quelque part." Sortant un carnet, je notais les titres des ouvrages qu’il m’indiquait, hochement simplement la tête. "Je vois. C’est un moyen de débuter, effectivement. Et si vous avez l’habitude de pratiquer régulièrement, c’est d’autant mieux."

Tout en l’écoutant, je continuais à prendre des notes. Ma mémoire, saturée de souvenirs lointains, pouvait parfois me jouer des tours. Mieux valait être prudent.

"Le principe majeure de la magie, c’est qu’elle ne crée rien. Elle transforme l’existant, majoritairement les différentes énergies qui nous entoure. Savoir gérer ces flux est précisément l’apprentissage principal d’un magicien." Je le fixais un instant, arrêtant mes notes. "Vous pensez que votre don pourrait être lié à la magie, d’une façon ou d’une autre ? J’ai déjà pu le constater, c’est donc tout à fait possible."

Le don faisait partie d’une personne, tout comme la magie pouvait l’être également. C’était simplement des noms différents pour des forces différentes. Quoique parfois, la frontière pouvait être floue. A voir si c’était le cas ici ou non, mais dans le fond, ce n’était pas un problème. Juste une composante à prendre en compte.

Voir que mon élève savait ce qu’il attendait de ces leçons était déjà un pas important. Je repris mon carnet afin de prendre des notes, avant de finalement commenter :

"La magie peut être une chose puissante. Destructrice. Son utilisation devrait être limitée à des fins non-égoïstes et à faire le bien. Mais dans les faits, l’humain reste humain…"

Je me demandais si Cnossos se rappelait ces notions, parfois. Bien sûr, la vie et les siècles nous faisaient facilement tourner aigre, et je n’étais pas mieux que la Duchesse en cela. Mais, l’essence même de la magie était d’être échange. Le retour de bâton pouvait être violent. Toutefois, ces considérations étaient inutiles dans le cas présent. MacNamara semblait complètement désintéressé dans son apprentissage, ce qui se confirmait presque dans son attitude enthousiaste et juvénile. Je ne sentais aucun danger à lui apprendre ce qu’il souhaitait, d’autant que c’était parfaitement raisonnable.

"Vous avez bien fait. Mais ceci étant réglé, je n’ai aucune objection à vous enseigner ce que vous désirez." Je terminais de prendre mes notes, avant de relever la tête pour le fixer. "Parfait. Il vous reste simplement à signer ce contrat, que je vous laisser découvrir. Il se compose principalement de clauses de confidentialité, ce que vous apprendrez avec moi devra rester entre nous. Vous êtes libre de juger à qui vous pouvez dire quoi parmi vos proches, mais je vous conseille la plus grande prudence."

Le reste était des conditions évidentes et basiques., comme l’engament à travailler et étudier de manière suffisante, ainsi que le partage, l’éthique et la confiance réciproque. Le dernier paragraphe nécessitait encore quelques éclaircissements.

"Je ne sais pas si vous connaissez la notion de coven ? Elle est importante dans la sorcellerie et la pratique magique en général. L’apprentissage de la magie se fait généralement au sein d’un groupe plus ou moins fermé, le coven. Si certains préfèrent se débrouiller de leur côté, le coven a des avantages indéniables, comme le partage et l’émulation mutuelle. Et je trouve davantage adapté dans certaines situations, comme la nôtre. Vous êtes mon seul élève pour l’instant, mais cela pourrait changer à l’avenir. Mes conditions d’admission sont assez spécifiques, mais pas extrêmement strictes." Je l’observais quelques instants, silencieusement. "Je ne vous interdits pas de fréquenter d’autres magiciens et magiciennes, ni même de leur parler. Je fais confiance à votre bon sens. Toutefois, je dois vous avertir que toutes et tous ne sont pas bien intentionnés. Je préfère donc que vous vous sentiez libre de m’en parler, si vous en ressentez le besoin."

Pour le reste, je lui laissais le temps de lire l’entièreté du contrat, avant de le signer. Il n’y avait rien de surprenant dedans, ou de peu clair. Des évidences, comme souvent dans ce genre de contrats. Quoique l’honnêteté n’était pas toujours de mise, comme partout.